Nous aurons des lits pleins d'odeurs légères, Des divans profonds comme des tombeaux, Et d'étranges fleurs sur des étagères, Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.

Charles Baudelaire

Le silence pesait sur le château, étouffant. Un linceul de velours où suffoquait un soupir à l'agonie. D'une main blanche, Maleficent froissa le satin de sa chemise de nuit. Ses longs doigts disparurent dans un frottement feutré. Comme elle baissait la tête, retenant un râle plein de rage et de désespoir, ses beaux cheveux roux qu'elle avait toujours portés très longs retombèrent en cascade sur ses épaules blanches, lui offrant l'intimité d'un voile humble. Naturel.

Elle eut un geste hésitant. Jamais encore elle ne les avait touché, peau à peau. C'était insensé. C'était répugnant. Un serviteur. Rien de plus. Et pourtant elle lui avait donné une chambre. Tout comme elle avait donné une chambre à Ash Lazarro. Du temps où les Mc Swann étaient craints, les domestiques avaient leurs quartiers aux sous-sols, près des cuisines. Leur présence n'était tolérée qu'en tant que de besoin. Aujourd'hui encore, aucun elfe de maison n'aurait osé paraître devant Maleficent, dernière représentante d'une famille de maîtres cruels et détestés. Elle faisait pourtant une bien piètre Mc Swann ainsi agenouillée, le visage blême, au chevet d'un macchabée à la peau racornie. La mort du vieux Finneghan était en soi une trahison. Sans lui, le ministère aurait tôt fait de venir débusquer Maleficent de son château de belle au bois dormant.

Elle avait gaspillé son temps et son énergie au chevet d'un moribond, comme la dernière des souillons, à se cacher du seul autre habitant de la demeure pour se glisser comme une voleuse dans cette chambre et prodiguer les soins qu'on lui avait dit nécessaires. En vain. Et quelle humiliation pour elle.

Son expression contrite capitulait progressivement face aux traits de l'amertume. Maleficent serra les dents. Aucun serviteur n'avait le droit de se dérober devant son maître. La mort n'était qu'une excuse de plus. Et quelle excuse lui laissait-on à elle? Ses quatorze ans? la pureté de son sang? son nom qui pesait comme une ancre à sa gorge quand elle ne cherchait qu'à surnager? Survivre en gardant la tête hors de l'eau. Et lui? Un poids mort de plus pour briser sa nuque délicate.

Se redressant d'un coup, déterminée, Maleficent rejeta d'un geste brusque l'épais édredon dont elle avait couvert. Le plateau d'argent valsa, emportant avec lui le velouté que le vieillard avait dédaigné, la belle porcelaine dans laquelle il avait été servi et tout le reste des efforts de la jeune fille.

Elle le saisit par les chevilles. Sa peau était roide et fine au point qu'elle l'imaginait se déchirant au moindre tiraillement. Sans plus une once de sentiment, Maleficent traîna le cadavre jusqu'à la porte, puis dans les escaliers. Le corps pesait si lourd que le tableau en était grotesque. Une frêle gamine en cheveux qui tirait de toutes ses forces sur les jambes d'un cadavre qui se contorsionnait de façon grotesque comme pour lui compliquer un peu plus la tâche.

Le crâne du mort cognait chaque marche d'un bruit sourd, accusant Maleficent.

« Maleficent, qu'est-ce que tu fais ?! »

Maleficent sursauta. Il n'y avait pas de voix autoritaire dans cette maison, en dehors de la sienne bien entendu. Quand elle se retourna et vit que c'était Ash qui avait parlé, elle se sentit coupable, comme si elle avait tué ce bon vieux Finneghan elle-même. Si elle avait eu à le faire, elle l'aurait fait avec un oreiller. L'idée lui avait même traversé l'esprit, voir souffrir les gens trop longtemps sans qu'elle y soit pour quelque chose ce n'était pas trop sont truc.

Elle regarda longuement Ash, tiltant qu'il l'avait tutoyée et n'avait pas employé le ton qu'il aurait dû. Elle fronça les sourcils mais elle ne dit rien. Elle ne pouvait pas vraiment se permettre de jouer la carte du chacun sa place. Si elle le faisait il ne l'aiderait même pas à enterrer Finneghan avant de claquer la porte. Elle ne savait pas pourquoi Ash était resté. Lui, plus que tous les autres, aurait dû plier bagage dès le départ de Calixte. Après tout, sans le tyrannique aîné Mc Swann, Ash était libre, du moins il l'était en théorie. Elle ne comprendrait probablement jamais Ash, pourtant à l'âge qu'elle avait, elle commençait à souhaiter le connaître mieux. La différence d'âge y faisait sans doute beaucoup, la différence de sang mettait un point final à ce genre de rêveries.

Le jeune homme descendit les escaliers pour arriver à sa hauteur. Elle nota le retour du mademoiselle sans savoir si elle s'en réjouissait ou si elle le déplorait. Quoiqu'il en soit lui ordonner de se montrer familier avec elle aurait été encore plus ridicule que le laissait continuer à observer l'étiquette alors qu'il se retrouvait seuls désormais.

Elle lui abandonna le corps du vieux Finneghan, plus parce qu'elle ne voulait pas qu'il la touche qu'autre chose. Ce n'était pas le cadavre qui la dégoûtait...
Ash chargea le macchabée sur son épaule demandant ce qu'il devait en faire. Elle n'y avait pas vraiment réfléchi. Ses yeux clairs s'assombrirent comme elle réfléchissait.

Une fois son choix arrêté, elle passa devant son seul et unique serviteur.

« Suis-moi. »

Elle descendit les escaliers devant lui, allumant une chandelle puisqu'à quatorze ans le Ministère ne lui permettait pas d'utiliser sa baguette en dehors d'une structure scolaire... comme s'il n'y avait pas d'autres façons de pratiquer...

Elle tira sur les lourdes de la porte d'entrée qui lui paraissait toujours aussi lourde, puis se faufila à l'extérieur par l’entrebâillement juste suffisant qu'elle avait laissé. L'air glacé s'engouffra à l'intérieur. Un épais tapis neigeux persistait depuis le début de l'hiver.

L'adolescente avança à pas prudent dans la neige. Elle n'avait rien pris pour se couvrir mais elle ne s'en rendit compte qu'une fois que ses chaussons furent plein de neige et ses pieds glacés. Tout ce qu'elle avait pris, c'était les deux pelles que les elfes de maison avaient abandonnées en bas du grand escalier avant de disparaître. Elle ne dit rien du tout, emmenant Ash et le macchabée aussi loin qu'elle pouvait. Le domaine était grand, elle avait plusieurs choix. Le fond du lac. Le cimetière. Les dalles de la cour d'honneur. Peut-être qu'elle ne choisit la forêt que parce qu'elle avait trop froid aux pieds et qu'ici, la neige n'avait pas pu traverser les frondaisons.

« Ici. », finit-elle par dire d'une voix blanche.

Elle lui tendit une pelle et prit l'autre pour elle. A vrai dire, elle n'avait jamais utilisé un outil de sa vie alors elle attendit qu'Ash s'y mette pour l'imiter. Elle le regardait sans en avoir l'air. Après tout c'était à elle de savoir. Pas à lui.

Ils creusèrent un bon moment avant de pousser le cadavre dans le trou qu'ils avaient fait et de le reboucher. Là, ils restèrent un instant sans rien dire puis, Maleficent rompit le silence.

« Personne ne doit jamais savoir... », ça ne ressemblait en rien à un ordre pour une fois.

Maleficent n'avait probablement jamais rien fait d'aussi avilissant que creuser la tombe de ce satané Finneghan. Pire encore, en deux coups de pelle elle se retrouvait des échardes plein les mains et la peau délicate de ses paumes brûlant et cloquant à vue d'oeil. Elle maudissait entre ses dents le macchabée. Si elle avait pu trouver un moyen de lui faire creuser lui même sa tombe, elle l'aurait fait. Ses mains là n'étaient pas faites pour le travail. Un fil à coudre aurait lacéré ses doigts avec autant de facilité que le fil d'une épée. Elle était ce que l'on appelle communément une bonne-à-rien ou dans les termes qui convenaient à son rang, une noble.

Quand la sale besogne fut faite, ils jetèrent le cadavre plié en deux dans la fosse qu'ils venaient de faire et rebouchèrent. Jamais rien ne lui avait paru aussi absurde que de creuser ce trou pour le reboucher tout de suite après. C'était bien pour faire des choses aussi sottes que de faire et défaire son propre travail qu'on avait des larbins. Mais Maleficent n'avait plus de larbin désormais. Ash pouvait occasionnellement remplir cette tâche mais son status différait en de nombreuses choses de celui d'un vrai larbin.

« On devrait rentrer, vous allez attraper froid, Mademoiselle. »

La rouquine acquiesça, lui reconnaissant dans son geste un peu de bon sens (ce que Calixte n'avait jamais voulu laisser à son animal de compagnie). On disait souvent de Maleficent qu'elle était folle, et sans doute qu'on l'aurait encore dit à la voir en tenue légère dehors dans la neige et encore, au mépris de la différence de status entre elle et Ash. Si Lady Calanthe avait été là, elle aurait eu beaucoup à redire sur le manque de pudeur de sa fille et plus encore de son manque d'estime de son sang. Aucun sang impur n'aurait dû la voir ainsi vêtue même si sa chemise de nuit la couvrait jusqu'au cheville ignorant les dictats de la mode qui aurait plutôt prêter le satin et la coupe à une femme des années 30 qu'à une adolescente du vingt-et-unième siècle.

Mais Maleficent se contrefichait de la mode, et elle se contrefichait qu'il la vît en chemise de nuit toute nue ou en parka, quelle différence à l'époque elle ne voyait personne d'autre que lui. Il aurait très bien pu remplir tous les offices à la fois, de la nurse, au patriarche en passant par le gratte parquet. A quoi bon une étiquette pour deux, une morale pour deux, un savoir-vivre pour deux? A rien. Elle ne les appliquait que par habitude.

Quand il lui tendit la main elle se demanda ce qu'il faisait, trop peu habituée à un tel geste. Attendait-il qu'elle lui paye un salaire maintenant qu'elle ne pouvait plus reposer que sur lui? Elle fronça les sourcils, vivement contrariée...

« Je sais que... »
« Tu sais? », finit-elle par dire un brin fermement comme elle envisageait qu'il ait pu vouloir autre chose que des gallions. L'idée était ridicule dans le fond. Calixte aurait dit qu'il était bien suffisamment payé en gardant la vie sauve.

Ce n'est que lorsqu'il se pencha pour la soulever qu'elle comprit où il voulait en venir et la chose lui parut plus incongrue encore que l'idée d'un salaire. Sa mauvaise humeur se dissipa immédiatement laissant place à la confusion et à l'ambigüité.

Maleficent avait vu Calixte porter sa fiancée de cette manière le soir de la noce, avant de disparaître jusqu'au lendemain pour revenir, la mine contrariée. Peut-être était-ce ainsi qu'elle devait se forger une image assez unique du prince charmant. Toujours était-il que bien des années après ce matin-là, Maleficent dire haut et fort qu'elle ne croyait pas au prince charmant tout simplement parce que croire en quelque chose sous entendrait presque déjà qu'elle admettrait la possibilité de son inexistence, or, elle, elle avait un prince charmant. Et si le concept n'avait rien de romantique dans sa tête, il collait à ses yeux suffisamment bien à la définition d'un être serviable à l'extrême, toujours prêt à accomplir vaut moindre désirs.

Mais pour en revenir à ce matin-là, mal à l'aise dans les bras du serviteur de Calixte, Maleficent ne pipait mot. Ses pommettes avaient pris de jolies teintes vermeilles mais comme on la voyait prendre ses couleurs chaque fois qu'elle avait une saute d'humeur, il aurait été difficile de dire si elle était courroucée ou si c'était l'adolescence qui la travaillait. Le trajet entre le sous-bois et le château ne lui avait jamais paru si long...

« Désolé mais il le fallait. », s'excusa-t-il en la reposant sur le tapis de l'entrée.

Maleficent s'éclaircit la voix pour se redonner une contenance respectable.

« Tu peux disposer pour la journée si tu le désires. », répondit-elle, plus désireuse de se retrouver seule que de l'avoir sous les yeux sans cesse.

Elle ouvrit ses mains, détournant son regard du serviteur. Sa peau délicate n'était qu'une écorchure et par endroit même elle saignait un peu quoiqu'elle n'ait pas fait grand chose. Il était inutile de compter sur l'intervention d'un elfe, ils étaient bien trop heureux qu'on leur ait interdit de paraître devant un maître pour lui obéir à elle, directement.

« Mais avant... est-ce que tu peux faire quelque chose pour ça? Je n'ai pas envie d'avoir les mains toutes cornues comme celles des... », elle se ravisa comme elle allait employer un mot susceptible de contrarier Ash, « ...rétameurs. »

C'était le mot le plus idiot qui aurait pu lui venir. Mais après tout, elle n'allait pas en plus s'excuser d'avoir fait un effort pour avoir quelque chose.

Quand il partit elle sut qu'elle l'avait vexé. Le rétameur c'était pourtant tout ce qu'elle avait trouvé pour rattraper à la dernière minute un mot qui l'aurait encore plus insulté lui. Du coup, il lui sembla qu'il était parti une éternité et peut-être même qu'il n'allait pas revenir du tout. C'est seulement au moment où elle commençait à se sentir vraiment seule qu'il reparut, une bouteille d'alcool dans les mains. Maleficent haussa un sourcil, avisant les "remèdes" qu'il lui rapportait. Inutile de dire qu'elle n'était pas convaincue mais après tout c'était sans doute un remède de moldu qu'elle ne pouvait bien évidemment qu'ignorait. Son frère lui avait bien souvent répété que les modus avaient un fort penchant pour les alcools forts... Elle s'abstint bien évidemment de tout commentaire. Après l'histoire du rétameur, elle ne voulait pas qu'il s'en aille pour de bon cette fois.

« Je vais devoir vous toucher. »

Elle acquiesça par habitude, retenant son souffle. On aurait pu croire que c'était de dégoût mais c'était plus par anticipation du contact. C'était la première fois qu'Ash se permettait de la toucher. Avant lui, la dernière personne à l'avoir fait avait été Calixte, et il n'avait guère été tendre pour ne pas changer. Curieusement, cet échange avec le serviteur de Cal était bien plus agréable que tous ceux qu'elle avait pu avoir avec son propre frère. Il était doux quand Calixte était une brute. La rouquine regardait le serviteur comme essayant d'accrocher son regard mais il l'évitait soigneusement. Du temps de Malevolent Mc Swann si Ash avait posé son regard sur Maleficent ou n'importe lequel de ses maîtres sans en avoir reçu l'ordre, il lui en aurait sévèrement cuit. Elle comprenait que ce genre d'habitudes ne pouvait que persister mais le savoir ne l'empêchait pas de vouloir contrecarrer ce réflexe qu'avait Ash comme elle prenait conscience qu'ils étaient seuls tous les deux désormais.

« Ça va piquer un peu. »

Elle allait lui répondre qu'elle n'allait pas se formaliser d'un petit picotement, après tout elle était une Mc Swann. Mais elle n'en n'eut pas le temps qu'elle couinait déjà, douillette comme toutes les filles d'aristocrate dignes de ce nom. Il retint sa main, toujours sans la regarder. Ca l'agaçait quelque part et elle allait tendre la main vers lui, quitte à le toucher pour qu'il la regarde quand il se permit une chose qu'elle n'aurait jamais cru possible venant de lui : un commentaire!

« C'était quelqu'un de loyal. Il méritait mieux que ce qu'on lui a offert. »

Un long silence suivît cette remarque. Elle ne pouvait pas lui dire qu'il avait raison car ce n'était pas sa place à elle de prendre ses gens de maison en pitié. Elle ne pouvait pas non plus lui dire qu'accepter cette tombe anonyme c'était tout simplement à la portée de la loyauté de Finneghan... Alors pu aussi dire...

« Désolé... Pour vos mains en tous cas, ça ira mieux d'ici quelques jours. »

Son air détaché et gêné à la fois, elle ne pouvait plus le supporter. Maleficent n'avait jamais traité Ash comme Calixte l'avait fait. Bien sûr elle avait ses caprices, elle n'était pas un cadeau. Mais la mort de Finneghan devait changer la donne. Elle ne savait simplement pas en quoi mais ils ne pourraient pas continuer à jouer au maître et à l'esclave indéfiniment. Tout simplement parce qu'elle, elle ne le pourrait pas. N'avoir personne à qui parler et rester là seule toute la journée tandis que lui éviter jusqu'à son regard... Allait-il la condamner à quémander l'amitié de ses elfes de maison?

« Merci Ash. », elle laissa passer un silence, comme si elle avait attendu une réponse, « Regarde-moi s'il te plait. », elle se pinça les lèvres comme elle s'apprêtait à faire une chose qu'elle n'avait encore jamais faite : s'excuser. « C'est moi qui suis désolée de tout ça. Si j'avais autre chose à offrir ce serait de bon coeur. Je... je n'ai pas le pouvoir de mon père, ni celui de Cal, et ils ne reviendront jamais ni l'un ni l'autre. », elle savait pertinemment qu'il restait dans l'espoir que son maître revienne, elle, elle voulait qu'il reste pour elle, « Je n'ai peut-être rien à offrir mais je ne veux pas que tu me laisses... seule. Je le dis parce que maintenant, on est vraiment seuls toi et moi. »

Elle vit bien qu'elle avait dit quelque chose qui le contrariait. Elle avait fait l'effort de dire merci (et dire comme c'était prendre sur elle de dire merci à un serviteur) et lui trouver le moyen de mal le prendre. Pendant une seconde elle eut envie de lui faire remarquer à quel point il menait une vie de privilège depuis qu'elle était le maître des lieux. Mais d'un autre côté, elle n'osait pas pousser à la confrontation. Si elle le froissait, qu'il osait répondre et qu'elle n'arrivait pas à recadrer ensuite, elle se retrouverait seule ou pire! elle verrait débarquer les services sociaux. Quoi de plus insultant pour elle que de se retrouver bringuebaler comme une vulgaire fille de moldue? N'était-ce pas ce qui était arrivé à Sibylle Lestrange? Maleficent n'était pas assez idiote pour prendre le risque.

S'il fallait être faux-cul pour qu'il reste (du moins le temps qu'elle ne trouve un moyen de l'obliger à le faire)... pourquoi pas. Elle crut cependant bon d'essayer une dernière fois l'honnêteté sans vraiment pouvoir s'expliquer pourquoi. Lui donner la certitude que Cal' ne reviendrait jamais c'était comme lui ouvrir la porte en grand, lancer un bâton et refermer la porte derrière. Pourquoi prendre ce risque? peut-être parce qu'elle espérait au fond d'elle compter plus que Calixte. Après tout, son frère n'avait jamais rien fait pour mériter l'attachement de son serviteur.

« Je resterai à une seule condition. »

Maleficent haussa un sourcil sévère. Elle avait quelque chose de très régal quand elle était contrariée. De quel droit se permettait-il de seulement l'envisager? Une condition! A elle! Lady Maleficent Mc Swann! Et cette façon qu'il avait de la regarder, jamais plus de quelques secondes. Ca l'agaçait au plus au point. Ca lui donnait envie de lui arracher les yeux. De prendre son visage entre ses mains d'aristocrate et de l'obliger à la regarder jusqu'à ce que mort s'ensuive...

« Ne m’appelez plus jamais Orphée. Jamais. Je m'appelle Ash. »
« ... C'est tout? C'est ça ta... "condition"? »

Par moment elle se demandait ce que Calixte avait bien pu faire à ce pauvre garçon pourqu'il en arrive à ce genre d'extrémité... A sa décharge, elle n'avait jamais rien su de l'origine de ce surnom. Orphée. Elle avait même toujours cru que c'était son deuxième prénom ou quelque chose du genre. Décontenancée par la réponse d'Ash, Maleficent quitta son air sévère et le laissa poursuivre.

« Je resterai, vous savez. Pas parce que j'imagine que c'est ce que Calixte voudrait ou parce que je n'ai nulle part d'autre ou aller, non. Je resterai parce que vous avez besoin de moi et qu'il n'y a que ça pour me faire exister. »

S'entendre dire qu'il restait pour elle (on ferait abstraction du fait qu'il restait aussi parce que servir était tout ce qui l'avait toujours caractérisé), lui fit radicalement changer d'humeur. Il fallait dire que Maleficent n'avait jamais été très constante. Excessive, elle n'avait jamais manqué une occasion de donner à son frère une bonne raison de la traiter de folle. Depuis qu'il était parti, c'était Ash qui en avait systématiquement fait les frais. Ses caprices, ses coups de blues, ses excès de bonne humeur, il n'avait échappé à rien.

Finalement elle lui offrit un sourire aussi large qu'innocent et, sans prévenir bascula sur ses genoux pour se rapprocher de lui, sur ses mains, comme une enfant s'amuserait à le faire mais certainement pas une aristocrate. Quand elle fut assez proche, elle lui adressa un petit regard piquant de malveillance puis, le serra dans ses bras, posant son adorable tête de succube contre le coeur d'Ash. Si Calixte avait pu voir sa soeur ainsi lovée contre son chien, à demi allongé sur le canapé dans une position un brin lascive (l'avait-elle fait exprès) il en aurait mangé sa baguette. Mais qu'importait. Cal n'était plus là après tout. Maleficent avait toujours été la seule Mc Swann spontanée. Plus pour le pire que pour le meilleur d'ailleurs...

« ... promets moi encore une chose Ash... promets qu'il n'y a qu'avec moi que tu creuseras des tombes au fond d'un jardin. »

Elle le sentit se statufier entre ses bras mais pourtant elle ne changea pas d'attitude persuadée que ce qui le gênait c'était surtout qu'en tant que serviteur il n'avait pas à la toucher, encore moins à la prendre dans ses bras. Mais elle ne demandait que ça à 14 ans qu'on la prenne dans des bras sûrs et possessifs. Pas seulement parce qu'être coupée du monde ne lui laissait que ses rêveries pour tomber amoureuse. Ce n'était même pas encore une question de sentiment à l'époque. C'était surtout une question de solitude. Si elle avait toujours haï Cal', lui au moins la regardait quand il parlait, avec une intensité qu'elle ne retrouverait certainement jamais et encore moins chez un serviteur. Cal' ne l'avait jamais prise dans ses bras, mais quand ils se battaient (ou plutôt quand il lui mettait une trempe) elle se sentait exister. Elle se sentait terriblement vivante. Une pitié qu'il ait fallu que son dernier moment d'exaltation elle l'ait dû à ce frère qu'elle détestait. Mais c'était mieux que rien, et en 3 ans, plus rien ne l'avait fait se sentir si vivante sinon peut-être creuser cette tombe miséreuse dans le fond du jardin avec Ash.

Elle voulait qu'il y ait quelqu'un dans sa vie pour la regarder, et pas seulement quand elle n'était pas attentive. Quelqu'un pour la toucher, la serrer, l'étouffer. Elle voulait qu'on monte le ton. Qu'on lui dise non. Qu'on la malmène même qu'importe. Elle voulait bien tout accepter du moment qu'elle ne voyait plus cette crainte révérencielle, ces expressions invariablement indifférentes dans le seul regard qu'on pouvait lui retourner désormais.

« Maleficent, je... »
« Ne gâche pas tout s'il te plait... », souffle-t-elle entre ses dents tellement elle a honte, elle, Lady Maleficent, d'avoir à quémander de la sorte l'affection d'un serviteur, fut-il le plus loyal et le seul du château d'ailleurs.

A son oreille elle sent un coeur qui bat si fort qu'il la cogne presque et qu'elle s'imagine emporter une ecchymose sur sa joue en guise de souvenir mais il gâche tout. Il la fuit. Est-ce parce qu'elle s'y prend mal? Est-ce parce qu'elle s'appelle Mc Swann et qu'au fond elle lui inspire plus d'horreur qu'autre chose? Elle ne ressemble pourtant pas à son frère avec son visage d'ange emprunt d'innocence, si prompt à accueillir les expressions de son caractère houleux et capricieux. Comme une enfant.

« Arrêtez, ce n'est... ce n'est pas correct. Je ne suis pas... Vous êtes... Vous êtes une Lady, je... »
« Et si c'était un ordre ?», supplie-t-elle en feignant un semblant d'autorité, « Si c'était un ordre est-ce que tu me garderais ? Est-ce que tu te tairais pour ne pas tout gâcher si c'était vraiment un ordre? »

Mais il persiste à la fuir et ce n'est que là qu'elle remarque que ses mains à lui sont cloquées. Un instant elle s'en émeut et perd le fil précieux par lequel elle croyait le tenir. Les domestiques souffrent-ils aussi? Elle l'a bien vu lorsque Calixte dépassait les bornes mais c'est la première fois qu'elle se rend compte que la nature ne prédispose pas plus les domestiques que les maîtres aux travaux qu'on leur demande. Quelque part avant ça, elle l'avait toujours cru... indestructible. Un peu comme un jouet auquel on peut faire les pires misères mais que l'on retrouve le soir sur son oeiller avec toujours le même sourire. Généreux et égal à ce qu'on a toujours connu.

C'est que son père n'a pas pris le temps de lui apprendre à elle comme il est délectable de regarder la souffrance de ceux qui ne vivent sur cette terre que par un hasard malheureux. C'est que son père fondait trop d'espoir en son précieux Calixte pour prendre le temps de poser un genou devant sa toute petite Maleficent, insignifiante, et lui apprendre comme ils sont faibles ces hommes impurs qui ont le culot de se dire sorciers. Il lui aura tout de même appris à les exécrer mais maintenant que le chateau de carte des Mc Swann et tous leurs semblables, chimères d'un âge d'or, s'était écroulé, ça n'avait même plus de sens de continuer de détester Ash. Parce qu'il n'y avait plus que lui dans son monde à elle. Ca n'était pas une image. C'était un fait on ne peut plus rationnel.

« Calixte... Calixte le saura et il nous punira tous les deux. »

Elle reste un instant interdite devant une telle objection puis éclate d'un grand rire qui vient à la fois chasser son désespoir et apporter une étrange éclaircie à la demeure. Assise sur ses talons devant lui, plus habillée de ses longs cheveux roux que de sa robe de chambre, elle reste hilare encore quelques instants avant de bondir hors du canapé, plus loin de lui :

« Mais Calixte ne reviendra jamais! Ne vois-tu pas que nous sommes libres?! » , s'exclafe-t-elle d'autant plus fort qu'elle préfère chasser ce mauvais démon qu'Ash essaye de lui présenter.

Sans s'en rendre compte, Maleficent a dit nous, trahissant ce sentiment d'oppression qui l'a quittée depuis que Calixte n'est plus là. Même voir partir tous les serviteurs sous ses huées impuissantes ne lui a jamais laissé un sentiment de frustration si grand qu'il ait pu égaler la pression que l'aura malfaisante de Calixte faisait peser sur ses épaules de petite fille. Mais elle n'était plus une petite fille désormais, et elle savait que si Calixte revenait, elle lui ferait la guerre avant de lui fermer la porte au nez... mais qui pouvait croire qu'il sortirait un jour de cette maudite tour?

« MAIS JE NE VEUX PAS ! »

Maleficent sursauta. C'était bien la première fois qu'Ash levait le ton et elle ne savait pas vraiment si elle devait s'en offusquer parce qu'il n'aurait jamais osé avec un autre Mc Swann, ou si elle devait laisser monter en elle cette pointe d'excitation qui affichait déjà sur son visage d'ange un large sourire...

Malheureusement il reprenait tout de suite sa place de gentil serviteur et se confondrait probablement en plates excuses d'ici une ou deux secondes. Le sourire de Maleficent retomba. Comment pouvait-il ne pas vouloir de ce cadeau merveilleux que Calixte leur avait fait en leur débarrassant le plancher pour toujours? Encore en ce qui la concernait elle, elle ne pourrait être vraiment libre qu'à sa majorité mais lui? Refuser ce qui lui était offert sur un plateau d'argent... elle ne comprenait pas pour tout dire, et c'est toute ébaubie qu'elle le laissa la prendre mécaniquement dans ses bras, ajoutant, comme si tout cela n'avait pas suffit « Je ferai ce que vous voulez... »

Maleficent se raidit contre cet homme qui refusait ne serait-ce que d'être son ami. Quand son visage vint se blottir contre sa gorge, elle sentit la rage sourdre en elle. Elle ne voulait pas de ça. Elle voulait de la sincérité. Quel intérêt aurait-elle bien pu trouver dans une affection feinte? Sinon de comprendre qu'elle ne saurait probablement jamais se faire aimer sincérement... Elle le maudissait intérieurement de le lui mettre dans la face alors qu'elle avait tellement espéré qu'ils pourraient être amis maintenant qu'il n'y avait plus personne pour en être témoin.

Alors, quand il la relâche pour se mettre à ses pieds, elle sent qu'elle va exploser. Intérieurement, parce qu'elle est furieuse, elle se dit que son père avait raison. Que les sangs impurs ne valent rien. Qu'ils sont nés pour se traîner au sol comme des larves. Et elle le déteste encore d'avantage de se faire l'idéal parangon de cette forme de médiocrité.

« Je... Je peux être votre chien, comme j'ai été le sien. Je... s'il vous plait... »

Elle ne dit rien pendant un bref instant puis, soudain, elle le repousse violemment de ses deux mains blanches et toujours douloureuses. Elle lui aurait mis un coup de pied si ça n'avait pas été les méthodes de Calixte.

« TU ME DEGOUTES!!! », jète-t-elle dans un petit cri d'oiseau étranglé quand elle voulait rugir comme un fauve.

Sa gorge est nouée et ce sont des larmes qui roulent en abondance sur ses joues alors qu'elle s'enfuit vers sa chambre. La porte claque avec force violence et le silence retombe comme un linceul sur tout le château. Elle se jetant sur son lit, elle se jure qu'elle ne sortira plus jamais de sa chambre, qu'elle ne va plus manger, plus rien.

Bien sûr elle est trop délicate elle qui n'a jamais sauté un repas ni fait un effort de sa vie. Alors elle prend ses repas dans sa chambre pendant quelques jours. Quand elle reparaît enfin, elle a tout de la superbe des Mc Swann. Elle ressemble presque à son père, un tout petit peu.

« Conduis-moi à Londres. », ordonne-t-elle, « Nous partons immédiatement, il me faut un chien. »

La phrase qu'elle jète ne manque pas d'ambigüité. Qu'entend-elle par chien? Un vrai chien... ou quelqu'un pour remplacer celui qui s'est proposé d'être le sien? En tout cas on sent bien dans son ton de voix qu'elle se serait bien passé d'Ash cette fois-ci. Si elle le lui demande c'est bien parce qu'elle aurait été incapable de s'y rendre d'elle même, encore moins de se retrouver seule dans les rues. Elle n'est allée qu'une seule fois à Londres, il y a longtemps, pour prendre le Poudlard Express...

Elle marchait devant le serviteur de Calixte, digne mais son pas énergique montrait qu'elle était toujours contrariée. Elle fendait la foule sans même remarquer les gens. En vérité elle ne savait pas où elle pouvait acheter un chien. Elle cherchait du regard quelque chose qui ait pu indiquer un élevage mais les échoppes se succédaient, comme dans ses souvenirs, un peu toutes pareilles. Ses yeux parcouraient les écritaux. Elle ne voulait surtout pas demander à Ash. En fait elle ne comptait pas lui parler du tout... pour toujours.

Enfin, elle avisa une enseigne qui annonçait Ménagerie Magique. En s'approchant la forte odeur l'indisposa à tel point qu'elle n'était plus si sûre de vouloir un chien tant que ça. Elle ne prêta pas attention à Ash dont la mine avait dû reprendre quelques couleurs à moins que le mauvais souvenir de Calixte qui n'avait jamais tari d'idées lumineuses pour l'humilier, ne vienne encore aggraver un peu plus son état d'anxiété.

La rouquine se couvrit le nez de sa main gantée de velours pour faire barrage à la puanteur puis attendit qu'Ash lui ouvre la porte pour entrer. Les murs étaient tapissés de cages qui la regardaient avec des yeux scintillants d'intérêt. Le bruit assourdissant des piaillements était un deuxième incovénient qui n'était pas pour plaire à Maleficent, habituée au calme mortuaire du château des Mc Swann.

- Quelle ravissante demoiselle! En quoi puis-je vous servir milady?

Maleficent sourit. Voilà qui lui plaisait déjà mieux. Elle ne se rendait probablement pas compte que tout cela devait faire partie des techniques de vente du commerçant et que ça n'était en rien dû à sa haute naissance à elle.

- Je voudrais acheter un chien.
- Un chien?! Voilà qui n'est pas banal!, s'étonna le commerçant, les chiens n'ont aucun talent magique, et ils vont de piètres coursiers...

Maleficent tiqua. Elle n'était plus si sûre qu'un animal de ce genre puisse convenir...

- Les chiens sont joueurs et affectueux de ce que j'ai lu... n'est-ce pas?
- Oui. J'imagine que c'est une qualité suffisante. Par chance j'ai ce chien., fit l'homme en lui faisant signe de suivre. Il la conduisit devant la cage d'un labrador visiblement ravi de s'attirer un peu d'attention.

Maleficent resta quelques instants à considérer ce chien qui la regardait la langue pendante, suppliant dans son propre langage qu'elle l'adopte et qu'elle le sorte de cet enfernal brouhaha et de son air méphitique. La rouquine afficha une profonde déception et se détourna du chien.

- Ca ne conviendra pas.

Le commerçant tiqua, peu désireux de perdre une cliente, d'autant que celle-ci était drapée de riches fourrures et qu'il n'en passait pas souvent de son espèce dans ce cloaque qu'il tenait. L'homme commença à présenter à Maleficent les créatures les plus extraordinaires. Tritons à trois queues, nifleurs, crapaux géants, chartiers, dragonnets miniatures... tous y passèrent sans séduire notre héritière en mal d'affection. Il s'en fallut même de peu qu'elle vide les lieux sans rien avoir acheter mais elle finit par jeter son dévolu sur un adorable lapin noir aux longues oreilles tombantes qui ne l'avait même pas regardée mais était venu renifler ses doigts quand elle les avait glissés à travers les barreaux.

Le commerçant tenta de la convaincre que c'était un bien piètre animal (le moins cher de toute sa ménagerie) pour une personne de son rang mais Maleficent ne voulut rien entendre. La seule chose que notre escroc parvint à lui faire acheter en surplus, ce fut un petit collier qu'il pouvait aussi lui graver si elle le désirait. Bien sûr il s'abstint bien de lui faire remarquer qu'on ne mettait pas de collier aux lapins d'ordinaire...

- Quel nom dois-je graver?
- ... Lord Voldemort. annonça-t-elle paisiblement sans prêter attention à la réaction épidermique de l'homme.

Il déglutit mais pris sur lui et annonça qu'il ne graverait pas un tel nom. Puis, il lui colla le lapin dans les bras avant de demander son dû. Ce n'est qu'à ce moment là que la rouquine se retourna vers le serviteur de Calixte, la petite boule de poil serrée dans ses bras... évidemment que c'était Ash qui allait régler cette transaction pour elle, avec l'argent des Mc Swann bien entendu.