Il y avait trois semaines qu'Enrique n'avait pas adressé la parole à Asphodèle. Depuis la visite de William à l'appartement d'Alicante, tout ce qu'avait dit son meilleur ami, c'était qu'elle était devenue complétement incapable de comprendre quoi que ce soit à l'être humain. Il avait fallu que Dak lui explique le sens de cette pique obscure pour qu'elle comprenne ce qu'il n'avait pas dit.

Non seulement ça la contrariait au plus au point de n'avoir pour une fois pas su lire entre les lignes dans le coeur de son meilleur ami (autrefois ils n'avaient aucun secret l'un pour l'autre), mais en plus, savoir qu'Enrique avait des sentiments pour elle l'embarrassait plus qu'autre chose. Pour la première fois de leur vie, ils n'étaient pas sur la même longueur d'onde. Ils n'étaient plus cette seule et même personne lovée dans deux corps différents mais animé d'une seule et même passion, innocente, chaste et surtout inaltérable. Personne n'aurait jamais pu se mettre entre ça. Aujourd'hui la donne était bien différente. Comme si un mur c'était dressé entre elle et lui. Pourtant pour elle il n'était absolument pas question de céder pour autant. Enrique resterait son ami, ou ils se perdraient l'un l'autre, mais elle n'éprouvait pas ce genre de sentiment pour lui et ça ne changerait pas.

Elle en était là de ses réflexions quand on frappa à la porte. Après la mauvaise expérience qu'elle avait eu avec Kaprice Harlington, on ne la reprendrait plus à aller ouvrir vêtue d'un simple short et d'un t-shirt. Même si à ses yeux cette tenue n'avait rien de particulier chez les britanniques visiblement c'était du plus mauvais effet. Elle enfila donc un jean et un pull léger. Enrique n'était pas là. Dak non plus. Officiellement personne n'avait dit à quiconque qu'elle vivait là aussi... Elle ouvrit la porte. C'était Lucrezia, la jumelle d'Enrique.

Par le passé, Asphodèle n'avait jamais fait sensation auprès de la jeune femme, sans doute à cause de sa relation un peu trop fusionnelle avec Enrique - du moins c'était ce que la métisse en déduisait, les jumeaux ayant généralement un lien plus fort que la plupart des frères et soeurs. Quelque part, puisqu'aujourd'hui sa relation avec Enrique partait à vau l'eau, Lou allait peut-être réviser ses appréciations...

Il fallait bien trouver un point positif à tout cela quoiqu'Asphodèle se contrefichait qu'on l'aime ou qu'on ne l'aime pas. Sauf si bien sûr par "on" on entendrait Enrique, Dakota, ou William...

- Hum... les garçons ne sont pas là. Je peux faire quelque chose?, demanda la métisse par pure courtoisie comme elle s'effaçait pour laisser entrer la jumelle d'Enrique.

Beaucoup de changements en si peu de temps... Il y avait de quoi se retrouver perdu au milieu d'un malström d'incompréhension, d'interrogations aussi diverses et variées et d'émotions plus ou moins identifiables. Lou avait eut besoin de quelques jours pour elle afin de retrouver un semblant de stabilité, de parvenir à déceler un chemin au milieu du bazar qu'était devenu sa vie. Tout d'abord, il y avait eut sa décision de retourner à Londres pour être près de Dakota, puis les "retrouvailles" avec quelques amis et notamment, Esteban. Enfin, il y avait Enrique et ses "problèmes". Oh, il ne lui en avait jamais parler mais cela n'avait pas été nécéssaire pour la dernière des Almadovar qui avait finit par comprendre. Des petits indices mit bout à bout, des mots échappés au court d'une conversation...

Il y avait une femme. Et il n'avait pas été bien compliqué de comprendre de qui il était question. Elle, Asphodèle. Les sentiments de Lou était partagés à propos de cette jeune femme, la meilleure amie de son frère. Fut un temps, la cadette Almadovar avait été fortement jalouse de celle qui lui avait volé son jumeau tandis qu'elle venait à peine de revenir de son exil plus ou moins forcé. Lorsqu'elle avait comprit que, de toute manière, rien ne pourrait réellement éloigner Enrique d'elle, la jalousie de Lou s'était peu à peu atténuée jusqu'à devenir plus diffuse et à se teinter d'une certaine forme de méfiance courtoise. La seule chose qui avait maintenue Lou à une distance respectable de la jeune femme était la peur qu'elle puisse faire du mal à son jumeau. Cependant, elle n'avait jamais osé la critiquer ou à agir contre elle. Au tout début, elle y avait pensé puis avait sagement rennoncé à ses plans. Etant désormais adulte, elle jugeait que ce n'était plus de son âge et que son frère était suffisamment grand pour savoir ce qu'il faisait.

Sauf que là, la coupe était pleine. A peine était-elle revenue de son petit voyage, Lou avait remarqué des changements chez son jumeau. Rien de bien flagrant pour quelqu'un qui ne le connaissait pas aussi bien qu'elle mais pour elle... c'était criant. Voilà la raison pour laquelle elle était, ce jour là, devant la porte de ses frères en sachant pertinemment qu'ils n'étaient pas là et qu'elle... logeait chez eux. Pour un peu, la jeune femme aurait trouvé prétexte à sourire mais pas dans la situation actuelle. Avec satisfaction, elle vit Asphodèle lui ouvrir. Aussitôt, Lou plaqua un sourire lumineux sur son visage, de ceux qu'on lui avait apprit à faire en toutes circonstances. Tandis qu'Asphodèle lui demandait ce qu'elle pouvait faire, Lou se glissa à l'intérieur de l'appartement et d'une voix tranquille, sans la moindre animosité, répondit:

-Je sais qu'ils ne sont pas là et ça tombe bien. Je voulais te voir, Asphodèle. J'espère que je ne te dérange pas.

- Je sais qu'ils ne sont pas là et ça tombe bien. Je voulais te voir, Asphodèle. J'espère que je ne te dérange pas.

La jolie métisse haussa un sourcil soupçonneux. Par le passé, les rares échanges qu'elle avait eu avec Lou Almadovar n'avaient rien donné de concluant. Au mieux elles s'étaient parlé ou avaient prétendu le faire par Enrique interposé, et comme pour ça par, Asphodèle n'avait jamais été très bavarde ni adepte de cette façon de communiquer...

- Je ne faisais rien de particulier..., répondit-elle sans plus d'enthousiasme.

A la vérité, son manque d'enthousiasme était une courtoisie. Elle aurait tout aussi bien pu lui dire que dérangée ou non le mal était fait de toute façon et c'est exactement ce qu'elle aurait répondu à Enrique. Mais Enrique n'aurait sans doute pas posé la question, avisant par avance ce genre de réponse de sa part.

Elle ne savait pas exactement à quoi s'attendre de la part de Lou. Le temps avait passé, elles n'étaient plus des adolescentes en mal de escarmouches futiles mais elles étaient toujours - sans doute - les deux femmes les plus proches d'Enrique, quoiqu'Asphodèle ait eu quelques doutes quant à la qualité de sa relation avec le jeune homme ces derniers temps.

- Tu voulais me voir donc...

A quel propos, elle se le demandait bien...