Assise à son bureau, la jeune briseuse de malédictions avait enfermé son crâne entre ses deux mains, qui massaient ses tempes en douceur, puis de plus en plus violemment. Elle essayait de se calmer, mais c'était un peu plus difficile avec chaque jour qui passait. Plus les visiteurs se succédaient sur la chaise en face d'elle, plus elle se sentait se détacher de ce monde pour s'enfermer dans le sien. Les barrières qu'elle avait érigées devenaient de plus en plus hautes et de plus en plus infranchissables, elle en était consciente. Mais son séjour à Sainte-Mangouste lui avait fait comprendre où étaient ses limites et elle les frôlait du bout des doigts. Son corps allait finir par la lâcher, et elle envisageait sérieusement une retraite de quelques mois, années s'il le fallait, ailleurs. Au fin fond des Highlands écossais où elle ne côtoierait personne. Ce qui l'en empêchait ? Pas l'argent, il n'y avait aucun souci de ce côté-là, son coffre à Gringotts était sans doute rempli de façon suffisante pour lui offrir un Etat entier. Mais quoi qu'elle pense, elle ne pourrait pas abandonner ce commerce. Briser des malédictions était, avant d'être son gagne-pain, une véritable passion dont elle ne pourrait se passer, quoi qu'il arrive. Sa santé mentale passerait après, elle était encore assez armée pour résister. Il faudrait qu'elle fréquente un peu plus les quelques amis qu'elle avait, s'imprégnant de leur présence pour avancer. Il faudrait qu'elle arrive à mettre la main sur Emìr et qu'il accepte de se conduire normalement pour qu'elle retrouve le complice dont elle avait besoin. Sinon elle allait élire domicile au Crawldelia Rock. Et elle n'était pas sûre que cela convienne au propriétaire des lieux. Agacée, elle posa les mains à plat sur la table et inspira profondément. Elle avait du travail, autant s'y atteler pour tenter de passer au-dessus.

Elle se leva, cueillit Hécate du bout des doigts, laissant la veuve noire monter sur sa main, son bras et remonter jusque dans son cou où elle aimait prendre la mesure du coeur de sa maîtresse. Les battements se calmèrent rapidement alors qu'elle considérait ses travaux en attente. Les objets n'avaient pas d'âme, pas de coeur, pas de défauts. L'aspect reposant de son travail. Elle goûtait alors au silence et au challenge intellectuel … mais jamais longtemps. Elle entendit la porte s'ouvrir et mit quelques secondes avant de se retourner. Le temps de se résigner, d'accepter le fait qu'on venait de décider qu'elle n'avait pas le droit à quelques instants de quiétude. Mais la voix lui fit fermer les yeux. Bonjour... Avant de les rouvrir, d'achever son demi-tour et de plonger son regard dans celui d'une ancienne amie. Iranoe ... Cela faisait longtemps, bien trop longtemps. Quand son amie avait quitté Poudlard, un an avant elle, elle n'avait plus donné de nouvelles. Ash n'avait pas cherché à la retrouver, comprenant son envie de rester seule. Les détériorations qui s'étaient effectuées au cours du temps sur le visage de la jeune femme lui laissaient présager le pire. Mais, lorsqu'elle se retourna, elle eut pour une fois une bonne surprise. Son visage, ravagé, dans ses souvenirs, était simplement marqué de cicatrices des horreurs qui avaient élu domicile sur sa peau avant son départ. Elle inclina simplement la tête, avant de lui demander : Que me vaut le plaisir … ? Elle n'avait jamais été expansive, et même si revoir son ancienne complice lui faisait un bien immense, elle n'en montrerait rien. En tous cas pas avant de savoir si ce n'était qu'une visite de courtoisie, mue par le simple besoin de ses services. Quoiqu'elle aurait pu envoyer quelqu'un à sa place ...

La réponse de la jeune femme arracha un sourire à Ash alors qu'elle considérait l'objet qu'elle venait de poser sur son bureau. Elle avait suffisamment d'expérience dans le domaine pour savoir qu'on ne promenait pas un objet maudit en toute impunité et d'autres précautions auraient été prises s'il y avait un réel problème. Ainsi, elle était venue pour la voir. Après toutes ces années, huit au total, elle avait enfin trouvé le chemin de sa boutique ou plutôt l'envie de franchir le pas de cette porte. Elle passa devant elle pour prendre la théière entre ses mains, se « prêtant au jeu ». Elle la leva pour l'inspecter, avant de prendre sa baguette et, d'un moulinet et un informulé, lever ce que la sorcière avait dû lancer elle-même. Maintenant que l'une des raisons est éliminée, nous allons pouvoir nous concentrer sur la seconde, dit-elle, avec la nonchalance qui la caractérisait. Jamais d'émotions vives chez la demoiselle, comme anesthésiée par le monde qui l'entourait. Cependant, ce n'était pas parce qu'elle renvoyait de l'indifférence qu'elle ne ressentait rien, et Iranoe était bien placée pour le savoir. Une douce chaleur s'était répandue en elle aux paroles de celle qui avait été, comme dans une autre vie, une de ses plus proches et rares amies et elle n'avait aucune envie de la voir franchir ce seuil dans l'autre sens sans avoir rattrapé le temps perdu ou tout du moins sans avoir eu auparavant l'assurance que huit autres années ne s'écouleraient pas avant que leurs chemins se croisent de nouveau. Et miss Sayuri ne semblait pas avoir envie de partir, ce qui lui convenait parfaitement. D'un geste de la main, elle lui indiqua le fauteuil de l'autre côté de son bureau. Elles seraient plus à l'aise assises pour un échange qui s'annonçait long et fourni, du moins l'espérait-elle.

A ses excuses, Ash s'assit également avant de poser les coudes sur son bureau pour contempler le visage de son amie. J'imagine. Ce fut sa seule réponse dans un premier temps, juste pour lui permettre de superposer l'image qu'elle avait d'elle avant et celle qui était sous ses yeux maintenant. Il y avait déjà quelques stigmates marbrant la peau d'Iranoe, mais ce qu'elle voyait la laisser présager le pire pour ce qu'elle avait dû subir pendant ces années d'absence. Elle présentait un nombre impressionnant de cicatrices et, même si celles-ci étaient résorbées en grande partie, il n'en restait pas moins que son visage avait dû être monstrueux. Cependant, ce n'était pas ce qui était important aux yeux d'Ash. Elle n'était pas proche de grand monde, mais elle n'en était pas moins loyale au peu d'amis qu'elle avait. Je comprends ce qui t'a poussée à m'éviter. Et je t'en remercie. Mais cela était proprement égoïste de sa part. Aurait-elle réagi de la même façon si elle lui avait laissé le choix ? Rien n'était moins sûr. Hécate titilla sa jugulaire et elle claqua de la langue pour la rappeler à l'ordre. Sa main traversa la table pour venir prendre celle d'Iranoe. Elle la regarda au fond des yeux et demanda, finalement : Mais qui a été là pour t'aider à cicatriser ?

Les paroles d'Iranoe s'enroulèrent autour d'Ash qui eut un léger sourire, un des rares qui effleuraient jamais ses lèvres. Elle savait qu'elle avait dû l'observer, de loin. Quelques clients s'étaient présentés sur recommandation sans donner de nom, mais n'en avaient pas eu besoin? À chaque fois, c'était comme si l'aura de son amie les entourait, comme si elle lui faisait passer le message silencieux qu'elle était désolée, mais qu'elle était toujours là, à sa manière, à distance. Et savoir simplement qu'elle pensait à elle et ne lui avait pas tourné le dos avait confirmé ce qu'elle pensait et lui avait permis d'espérer un jour la revoir, même huit ans après. Et même si elle avait été surprise de la voir apparaître, elle savait que c'était dans l'ordre des choses. Mais l'entendre dire n'était pas désagréable. Je le sais. Chaque personne que tu m'as envoyée a été satisfaite, j'espère ? Toujours pas de grande déclaration, mais son regard en disait sans doute plus long que ses paroles. Elle serra simplement ses doigts un peu plus fort entre les siens, contact certes minimaliste mais rassurant et suffisant pour faire comprendre ce qu'elle ressentait en cet instant précis. Elle avait envie qu'elle lui dise ce qui lui était arrivé et qu'elles rattrapent le temps perdu. Mariée, puis divorcée, apparemment. Le prénom de Dakota fit tiquer la jeune femme. Elle n'avait jamais été une grande fan de ce jeune homme, qui la perturbait grandement de son don, montant tour à tour un faciès hideux puis un visage beau à se damner. Cependant, s'il avait pu être d'un quelconque secours à leur amie pendant qu'elle était au loin (certes bien malgré elle, mais les faits étaient là), il remontait légèrement dans son estime. Peut-être se montrerait-elle civilisée et non cassante avec lui la prochaine fois que leurs chemins se croiseraient. Nulle jalousie, qui aurait été tout bonnement déplacée. Les faits étaient là. Et Ira l'avait dit d'elle-même : après tout, elle avait toujours été extrêmement solitaire et silencieuse quand il s'agissait de régler ses soucis, Ash l'avait toujours su.

Quand la question de son apparence se posa, la briseuse de malédictions ne répondit pas tout de suite, ramenant ses yeux sur le visage de son amie. Elle tentait de faire l'état des lieux de mémoire, avec ce dont elle se souvenait. Il lui avait toujours semblé marbré de griffures et autres blessures déplaisantes, aujourd'hui toutes cicatrisées. Mais une collection de nouvelles étaient venues s'ajouter pendant son absente, aujourd'hui au moins en partie résorbées, mais tout de même. Tu es … différente. Elle ne se permit pas de toucher, car cela n'avait, déjà, aucun intérêt, ce qu'elle voyait n'étant pas réel et ensuite, ça aurait été une forme de familiarité qui ne lui ressemblait en aucune façon : Tes anciennes blessures se sont refermées, et je peux voir les stigmates de nouvelles, que tu as dû avoir en mon absence. Mais effectivement, à l'heure qu'il est … il n'y a plus rien de monstrueux sur tes traits. Elle était sans doute arrivée elle-même à cette conclusion, sans quoi Ash se doutait qu'elle ne serait pas venue la voir. Mais je pense que je ne t'apprends rien. Elle eut un léger sourire : Je suis heureuse de constater que tu as pu faire le ménage dans ton existence. Il ne te reste plus qu'à me mettre à la page. Qu'est devenue Iranoe Sayuri ?

La satisfaction des connaissances d'Iranoe n'était pas une surprise pour la jeune femme, mais l'entendre dire la rassurait. Elle avait donc demandé des nouvelles et gardait un oeil sur elle malgré tout. Elle hocha simplement la tête, avant de préciser : Ils m'ont eux aussi recommandé à d'autres personnes et font partie pour la plupart de mes habitués. Je ne pourrai jamais assez te remercier. Même si ce n'était pas tant la réputation qu'ils lui avaient donnée et qu'ils avaient diffusée, ou l'argent qu'il lui avait rapporté, plus l'intérêt et le coup de pouce que son amie avait donné à son commerce, même de loin. Si ce n'était que l'aspect pécuniaire et le goût du défi qui la poussaient habituellement, ça avait été différent sur ces affaires-là. Car quoi qu'elle montre et quoi qu'elle renvoie comme image, Ash tenait aux quelques amis proches qu'elle avait. Et la présence d'Iranoe en face d'elle et sa main dans la sienne valait tous les cas étranges du monde.

Surtout son inquiétude à son sujet par rapport à son aspect physique. Cependant, elle semblait avoir oublié qu'elle n'avait rien dit, jamais, même lors de leur première rencontre où elle avait immédiatement noté les stigmates qui marbraient son visage. Et pourtant, elle avait appris à la connaître malgré cela, et avait toujours été à l'aise en sa présence. Ce n'était pas le physique qui comptait quand on aimait, même si cela reflétait les tréfonds de l'âme de la jeune femme. Elle savait ce qu'elle valait, elle connaissait la raison de son aspect physique, et c'était pour cela qu'elle avait toujours supporté les visions, et l'odeur, même, parfois. C'était ignoble, de parler ainsi de la jeune femme en face d'elle, mais c'était malheureusement sa réalité. Ils le sont, et même au-delà. Tu es plus belle que dans mes souvenirs. Ne cherchez pas un quelconque sens profond à ses paroles autre que celui-ci : elle reconnaissait et saluait les efforts qu'elle avait accomplis et auxquels elle n'avait pas pu assister. Mais il leur restait tout le reste de leurs vies pour se rattraper, et elle comptait ne pas en perdre une miette.

Elle hocha doucement la tête alors qu'elle parlait : Ton rêve s'est réalisé, elle voulait bien sûr parler des potions, pas spécialement de la fortune de ses parents, qui devait être un simple tremplin pour le reste. Pour la vie sociale limitée, cependant, elle ne put que surenchérir : Je crois que nous sommes deux dans ce dernier cas. Mon travail m'a apporté réputation et occupation illimités, un coffre rempli à Gringotts. Mais ma situation n'a pas énormément changé. Une frustration immense, son absence de résultats sur sa propre malédiction qu'elle ne parvenait pas à enrayer qui lui rendait les choses bien compliquées, notamment avec le peu d'amis qu'elle avait. Le rouge faillit lui monter aux joues au souvenir de « l'incident » avec Alderic et elle s'efforça de glisser dessus : Ta potion me rend toujours de fiers services, mais je ne serais pas contre une amélioration ... Son hospitalisation en urgence à Sainte-Mangouste n'avait effectivement pas été une partie de plaisir, et elle sentait sa force de concentration diminuer à force de prendre des doses quotidiennes de plus en plus fortes et de plus en plus rapprochées ...